Blanche de Fontarce

  • Prostasia
Blanche dans les allées de Bagatelle (Bois de Boulogne) sur son cheval arabe Ramina

 

 

Blanche de Fontarce et son héritage spirituel

 

 

L'association Prostasia livre dans cet article le fruit de ses recherches sur Blanche de Fontarce (1898-1916), jeune fille décédée à l'âge de 18 ans et reposant dans une des chapelles de l'ex-orphelinat qui porte son nom, à Châteauroux. Nous recueillons sans complexe l'héritage spirituel de celle qui voulut au soir de sa vie aider les enfants nés sous une étoile moins brillante que la sienne. Nous nous excusons auprès des lecteurs des multiples détails insérés : en effet, nous ne connaissons pas d'articles équivalents racontant l'histoire de Blanche et surtout de sa famille, c'est l'occasion ici d'être à peu près complet. Nous avons pourtant réduit largement notre propos pour ne laisser que l'essentiel.

 

 

 

Gabriel de Fontarce
Adèle Potier

Le vicomte François Henri Gabriel Trumet de Fontarce et Adèle Potier s'unirent par les liens du mariage le 26 avril 1889 à Paris en l'église St Pierre-de-Chaillot. Le père de Gabriel, Armand (1824-1908), marié à Blanche Delvigne (1833-1895), était docteur en médecine, membre de la société d'anthropologie de Paris et chevalier de la Légion d'honneur. Il exerça les charges de conseiller général de Canton et de maire de Bar-sur-Seine (Aube). Le nom de Trumet de Fontarce (Armand et son frère Jacques-Albert avaient été autorisés à apposer le nom de Fontarce à celui de Trumet en 1860) n'est pas tombé dans l'oubli dans cette région. il reste attaché à l'actuel centre hospitalier de Bar, construit sur la propriété de 33ha donnée par Gabriel à l'hôpital-hospice en 1924.

 

Le château Trumet de Fontarce à Bar-sur-Seine, aujourd'hui centre médical
A Compiègne en 1899

Mais la notoriété de ce nom a largement dépassé les limites régionales ou nationales. En effet, si Gabriel tenta de suivre les traces de son père en briguant des postes à responsabilité politique, il hérita plutôt de lui le goût de l'aventure et du voyage. Armand, en effet, avait été missionné par le gouvernement en Algérie et en Tunisie. Ses "Souvenirs de voyage", racontés puis édités en 1896, avaient ouvert les sens déjà affutés du jeune Gabriel, tout comme les "Impressions de voyage" de son grand-père, Jean-Baptiste Trumet, relatant ses pérégrinations en Italie au début du XIXe siècle.

Gabriel entreprit alors en 1904 la création d'une importante exploitation agricole (canne à sucre) à Armant-Hermonthis en Haute Égypte, ainsi qu'un dispensaire tenu par des religieuses françaises. Il fonda également au Brésil un établissement d'élevage et de culture. Ses activités le menèrent en Suisse pour un projet immobilier d'envergure, en Australie où il étudia lui-même le bétail Hereford pour son exploitation brésilienne et en bien d'autres endroits...

Gabriel acquit ainsi une fortune considérable, ce qui lui vaudra les reproches cinglants de Léon Daudet dans les colonnes de l'Action Française en 1919, qui le décrit comme un "capitaliste archimillionnaire, enrichi dans les spéculations heureuses, possédant une écurie de course (...), possédant, avenue des Champs-Élysées et rue de Marignan, des immeubles somptueux et magnifiques." Précisons que les immeubles cités seront donnés au département de l'Indre en 1920 afin d'assurer un revenu à l'orphelinat créé sur les vœux de Blanche... Mais n'anticipons pas.

 

Gabriel de Fontarce s'essaiera aussi à la politique. Dès 1902 à Bar-sur-Seine, ressort son caractère inclassable : il se dit républicain libéral, certains lui contestent ce titre parce qu'il refuse tout anticléricalisme ; il se veut progressiste, on le qualifiera de conservateur. Bref, il sera en politique ce qu'il est partout : indépendant et surprenant ! "Liberté" sera son maître-mot, il l'appliquera tout au long de sa vie, même au risque de quelques ennuis avec les autorités brésiliennes sur ses vieux jours...

 

Bien qu'on le juge "remuer l'épée avec une puissance de main remarquable" (H. de Goudourville), c'est dans les courses de chevaux que ce "sympathique sportsman" (Le Figaro) va s'illustrer, en tant que propriétaire. Il possède en effet des haras en France, en Egypte, et en Irlande. Il crée la surprise en 1923 en plaçant sur la ligne de départ des Epsom Oaks en Angleterre, une des courses les plus prestigieuses au monde, un cheval acheté 15 fois moins cher que ses concurrents : la célèbre Brownhylda. La victoire fut d'autant plus magnifique.

 

La pouliche vainqueur des Epsom Oaks de 1923
Victoire à Auteuil en juin 1906

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

 

Adèle Potier, la maman de Blanche, est quant à elle issue d'une famille de notaires. Son père, Jules Alexandre Potier (1813-1896), fils de Charles Potier de la Potière, notaire impérial à Méru dans l'Oise, a exercé à Paris rue de Richelieu entre 1844 et 1871. Après avoir rempli des mandats de conseiller municipal à la Ferté-sous-Jouarre où il possédait le château dit de Lagny (Adèle y nait en 1866 et y viendra souvent en villégiature après son mariage), il est entre autre élu conseiller municipal de Paris (8e arr.) et conseiller général de la Seine (1873-1878). De 1875 à 1878, il cumule encore les charges de membre du Conseil départemental de l'Instruction publique et de membre du Conseil d'administration du mont de Piété de Paris. En 1892, il est nommé chevalier de la Légion d'Honneur.

 

 

Blanche avec son père à la Ferté-sous-Jouarre

C'est dans ce contexte familial promis à un destin somme toute assez hors du commun que va naître à Paris, le 19 avril 1898, la très attendue Blanche. En effet, Gabriel et Adèle désespéraient de n'avoir point d'enfant. L'institutrice de Blanche. Angélina Boussier du Chastaingt, raconte dans sa "courte vie de Blanche de Fontarce" publiée en 1932 : "Adèle avait fait vœu, si Dieu lui accordait un enfant, d'aller remercier la Sainte Vierge dans son sanctuaire de Lourdes" ; de même Gabriel "avait promis d'ériger un autel dans la basilique de Fourvière" à Lyon. Les promesses ont été tenues et on peut encore apercevoir à Fourvière, dans une chapelle latérale dédiée à l'intercession de la Vierge, un ange ayant les traits de la petite Blanche, au milieu d'un ensemble sculpté représentant les Noces de Cana.

 

 

Blanche s'éveille ainsi à la vie dans un milieu parisien foisonnant d'idées et d'entreprises. C'est le Paris de la Belle-Epoque. Elle séjourne dans l'hôtel familial des Champs-Elysées, où Adèle reçoit volontiers, et profite des vertes allées du jardin du Pré Catelan, au Bois de Boulogne. Existence privilégiée certes, mais Adèle saura faire éviter à sa fille le piège de la mondanité et de la vie facile. Celle-ci en recueillera une ouverture et une grandeur d'âme...

Voici le souvenir qu'en a gardé une amie : "D'intelligence vive, pénétrante bien que rapide, de compréhension instantanée, gaie, pleine d'entrain, d'amour pour la vie, de curiosité légitime pour tout ce qu'on peut apprendre et qui vous enrichit, bonne d'une bonté peu commune, n'étant vraiment heureuse que lorsque le soleil brille pour tous, sachant, au milieu de son bien-être et de ses joies d'enfant, penser aux pauvres ; âme sans égoïsme, cœur ouvert à tous, intelligence que la lumière inonde : voilà le petit personnage."

 

 

Blanche de Fontarce en Orientale

Très tôt Blanche passe les hivers en Égypte. Là va se révéler sa générosité. "Blanche aimait beaucoup donner. Chaque jour, en sortant du palais, elle distribuait des bonbons ou des cacahuètes à une bande de jeunes fellahines qui, assises de longues heures sur les berges du Nil, attendaient sa sortie et l'entouraient dans un bruyant enthousiasme dès que les portes de la grande grille s'ouvraient."

La générosité, un privilège de riche ?

Mlle du Chastaingt répond : "On lui avait permis d'élever des volailles qu'elle vendait au cuisinier pour mettre l'argent dans sa bourse de charité, afin d'augmenter celui que lui valaient ses bonnes notes de conduite et de travail." C'est que chez les Fontarce, l'argent se gagne... et se distribue !

 

 

Communion le 22 mai 1910

 

Dès qu'elle sut lire, sa mère avait ouvert son âme aux réalités de la foi. La prière, la leçon quotidienne du catéchisme et l'exemple ont orienté pour les années à venir une vie profondément marquée par la religion catholique. On a pu reprocher à sa biographe d'insister un peu trop à ce sujet, il reste que des faits indéniables viennent appuyer ses propos.

 

En Égypte, Blanche aimait participer à la chorale de l'église dans laquelle un Père franciscain célébrait le culte pour les Européens. De plus, tous les jeudis, elle se faisait un honneur de répondre à la messe que disait le missionnaire dans le salon familial.

 

Par ailleurs, il faut relever qu'en France, dès l'âge de 12 ans, Blanche se choisit un directeur spirituel, un Père de la congrégation des Augustins de l'Assomption, fait assez rare à cet âge ! Elle lui sera liée jusqu'à ses derniers instants et entretiendra avec lui une correspondance suivie.

 

 

"L'année 1914, qui devait être si douloureuse pour la France, fut celle qui couronna les études de Blanche par l'obtention du brevet élémentaire. Elle passa cet examen, non seulement avec succès, mais encore avec les félicitations du jury devant une salle comble. Encouragée par ce brillant résultat, l'enfant, devenue jeune fille, conçut aussitôt le désir de poursuivre ses études jusqu'au brevet supérieur dont elle commença le programme, sans même vouloir prendre aucun repos."

 

C'était sans compter sur la guerre qui commençait à faire rage. L'ennemi étant à nos portes, le vicomte de Fontarce fit partir son épouse et sa fille en Angleterre.

 

 

L'hôpital Royal de Richmond pendant la première guerre mondiale

Londres puis Richmond. Outre ses études, Blanche travaille pour les soldats français et envoie des colis sur le front. "Quand elle avait terminé chaussettes, chandails, mitaines, si nécessaires dans les tranchées, elle joignait à son travail maintes douceurs qu'elle payait de son propre argent." Les réfugiés belges débarquant sur le sol anglais sont aussi l'objet de ses soins.

L’hôpital royal de Richmond avait réservé 50 lits pour les blessés de guerre. Blanche les visitait régulièrement. On peut citer ce fait singulier :  à Noël, elle offrit et partagea avec eux un énorme gâteau !

 

La santé de Blanche, rarement malade, commença à s'altérer. Angoisses de la guerre, climat brumeux ? On ne put déterminer la cause du mal mystérieux. On choisit alors de quitter Londres pour le bord de mer... Rien n'y fit. Le retour à Paris fut décidé.

 

 

Les plus grands professeurs de la capitale se penchèrent sur la cas de Blanche. Mais devant avouer leur impuissance, ils préconisèrent un séjour dans le Midi. Les Fontarce optèrent pour Cannes. On s'installa dans une maison du quartier Californie avec le fidèle et dévoué Saïd, employé soudanais, et l'institutrice de Blanche. Deux opérations chirurgicales n'eurent d'autres résultats que de porter atteinte à ses forces. Cependant, "ce fut dans une de ses consultations médicales que le Dr. M., le docteur de son enfance, parla à la petite malade des pauvres enfants abandonnés qu'on amenait parfois dans un état pitoyable à l'hôpital de l'Enfant-Jésus, et qui, une fois guéris, étaient rendus à leur triste sort, c'est-à-dire, souvent, à la rue et à ses abîmes (...) Ce soir-là, Blanche resta très absorbée..." Le premier germe de son grand projet avait été semé !

 

 

Ste Thérèse de l'Enfant-Jésus

A Cannes, elle put bénéficier du ministère sacerdotal de l'abbé Romanet, curé de Notre-Dame des Pins et d'une visite du Père assomptionniste à qui elle livrait habituellement ses états d'âme. Blanche consentait au sacrifice qu'elle savait devoir offrir. Pour bien comprendre une telle attitude, il faut se souvenir que Blanche avait une grande dévotion envers Ste Thérèse de l'Enfant-Jésus, religieuse carmélite morte à l'âge de 24 ans dont les écrits publiés peu de temps après sa mort en 1897 avaient enflammé - et enflamment encore - la spiritualité chrétienne. Thérèse de Lisieux y développait le thème de l'amour miséricordieux du Sauveur et du sacrifice offert par amour pour Lui.

 

Ainsi Blanche répétait souvent en ses derniers jours cette prière qu'elle affectionnait particulièrement :

 

"O Dieu, qui avez embrasé de votre esprit d'amour l'âme de Thérèse de l'Enfant-Jésus, accordez-nous de vous aimer, nous aussi, et de vous faire beaucoup aimer."

 

 

Blanche de Fontarce

 

Une troisième opération fut fixée au 10 mai. On s'aperçut alors, mais trop tard, que le foie était touché. C'est une mourante que l'on remit sur son lit. En s'adressant à ses parents, elle formula ce vœu : "... il faudra donner beaucoup. Il y a des petites filles abandonnées qui n'ont pas de papa ni de maman. Je voudrais que vous fissiez quelque chose pour elles." Blanche s'éteignit quelques heures après.

 

Les parents de Blanche répondirent largement à ses souhaits. Des donations importantes furent réalisées au Département de l'Indre afin d'assurer des revenus à l'orphelinat projeté, un bâtiment fut construit : l'orphelinat "Blanche de Fontarce" ouvrit ses portes en 1930, sous la direction des sœurs de Notre-Dame du Sacré-Cœur d'Issoudun.

 

 

 

L'orphelinat en 1965

Blanche repose aujourd'hui dans la crypte de la chapelle "Sainte Blanche" (il s'agit d'une sainte romaine du IIIe siècle) située sur le site de l'epd Blanche de Fontarce à Châteauroux, avec ses parents (morts en 1941) et son institutrice.

 

Emeric Gervais

Association Prostasia

 

 

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